Pour l’examen du BTS photographie nous devions réaliser un dossier d’analyses d’images. Je vous ai déjà présenté ce dossier dans une série d’articles intitulés « Analyses d’images , le dossier de BTS », reprenant des images d’Annie Leibovitz, William Eggleston, Matthew Shave et du studio Staudinger + Franke. En revanche, je ne vous ai pas vraiment expliqué comment j’en étais arrivée à rédiger ce dossier. Comment préparer une analyse d’image ? Comment la structurer ? Aujourd’hui, je passe en revue les différentes étapes pour une bonne analyse d’image, en utilisant l’exemple d’un exercice donné par ma prof d’histoire de l’art de BTS: une analyse comparative entre deux images de l’avant-garde.

Restez bien jusqu’au bout, je vous ai préparé une belle surprise en fin d’article !

La structure d’une analyse d’image

Dans mes analyses d’images, je me base sur un plan en quatre parties: l’introduction, le contexte, l’analyse formelle et l’interprétation. Pour une question de praticité lors de mes recherches, j’utilise un tableau, que je remplis au fur et à mesure. Mais cela pourrait tout aussi bien être une todo list dont je coche les items une fois les informations trouvées.

Introduction

L’introduction regroupe les informations de bases de l’image: son auteur, son titre, sa date de création ou de publication, le format et la technique utilisée ainsi que le sujet (au premier coup œil). Cette partie est la plus simple puisque les informations se trouvent (normalement) à proximité de l’image, dans un texte de présentation ou en légende.

Contexte

Une fois l’œuvre énoncée il est important de décrire le contexte dans lequel elle a été créée, si on le connait. Le contexte peut être historique (à quel événement fait référence l’œuvre par exemple) , artistique (dans quel courant se situe-t-elle ?) ou technique (est-elle inscrite dans un process nouveau ? la technologie est-elle récente ou l’auteur renouvelle-t-il une technique ?). Inscrire l’œuvre dans sa période peut aider à l’expliquer, à trouver le message que souhaitait faire passer l’auteur, à justifier l’utilisation d’un outil particulier ou à simplifier le point de vue.

Analyse formelle

Il est maintenant temps de décrire ce que l’on voit, et uniquement ce que l’on voit. L’interprétation n’a pas sa place dans cette partie. On peut évoquer le cadrage et le point de vue, la composition, l’utilisation des couleurs et de la lumière, si des personnages ou des objets, des motifs sont représentés. Il peut être intéressant d’évoquer l’effet que provoquent ces éléments sur le spectateur en explicitant le rapport fond/forme.

Interprétation

Enfin, il faut « expliquer » l’image: quelle est sa fonction (raconter, séduire, dénoncer…), que symbolise-t-elle pour nous , comment nous parle-t-elle, est-ce que des figures de style sont utilisées ? Il est également important de préciser la cible que cherche à atteindre l’auteur avec son œuvre si on la connait ou si on peut la deviner. Si une légende est présente, il peut être intéressant de la questionner: sa forme, le registre utilisé, sa fonction… C’est dans cette partie qu’on peut lier la vie de l’auteur à son œuvre: quelle est la singularité de l’auteur, sa place dans l’histoire ?

Exemple d’analyse d’image: Sanders et Kertesz

Introduction

Pour cette analyse comparative concernant l’avant-garde, j’ai choisi deux photographies argentiques noir et blanc. La première est une image d’August Sander intitulée Jeunes paysans allant danser et datant de 1914. La deuxième date elle de 1934, a été prise par André Kertesz et se nomme Partisans du front populaire.

August Sander est un photographe allemand né en 1876 et mort en 1964, principalement connu pour ses portraits des Hommes de son temps, et sa représentation des différentes catégories sociales (paysans, artisans, femmes, artistes….). Ses images ont une vocation documentaire et esthétique. André Kertesz (1894 – 1985) est un photographe hongrois, naturalisé américain, reconnu comme portraitiste et illustrateur pour les revues Vu et Art Vivant. Il photographie aussi beaucoup l’actualité, de manière toujours surprenante.

La photographie de Sander est exposée au centre Pompidou à Paris et mesure 30×25 cm. Elle représente trois jeunes hommes en habit du dimanche, posant sur un chemin boueux, avec leur canne et regardant le photographe. Avec le titre de la photographie apposé par Sander, on comprend que ces hommes, ces paysans, vont danser. Celle de Kertesz a été exposée au Jeu de Paume à Paris et représente un groupe de manifestants. On y voit des hommes et des femmes, poings levés, chantant et/ou criant. Certaines femmes ne portent pas de chapeaux (émancipation de la femme, typique du front populaire à l’époque) et l’absence de banderoles ou de signe particuliers rend l’identification de la manifestation incertaine. Cependant, en tenant compte du titre de l’image et de la date, on peut supposer qu’il s’agit de l’un des rassemblements antifascistes du front populaire qui ont eu lieu en 1934-1935.

Analyse formelle

Les deux images représentent donc des scènes de vie, non créées de toute pièce par le photographe. Sur l’une des images, les hommes posent pour le photographe, l’autre est prise sur le vif, même si certaines personnes présentes à l’image sont conscientes de la présence de l’appareil et le regardent. Les deux photographies sont également prises en extérieur : le soleil naturel est la seule source de lumière. Celle-ci est plutôt douce pour l’image des Paysans (surement un jour pluvieux, nuageux), ce qui adoucit les traits des visages et détaille les ombres. La lumière est plus dure sur les manifestants (milieux de journée, surement en été), ce qui pose un regard brut sur le sujet. Enfin, toutes les deux en noir et blanc, elles forment une dramatisation du sujet, apporte un caractère ancien certes, mais également hors du temps : les manifestants sont toujours un groupe, utilise souvent le poing, les vêtements ne sont pas spécialement identifiables à une époque, etc…

La photographie de Sander est de format rectangulaire et vertical, de pied et d’un point de vue frontal. Les hommes sont vus de trois quarts et paraissent se retourner vers le photographe. Ils marchent de la gauche vers la droite sur le chemin de boue, ce qui apporte une dimension narrative à l’image. Sander cherche à nous raconter l’histoire de ces paysans. Kertesz veut également nous raconter un moment, une action, mais de manière un peu différente. En effet, le format est cette fois horizontal et le cadrage en contre-plongée, le plan est américain et accorde donc de l’importance aux personnages en action, qui passent aussi de gauche à droite, de manière bien plus dynamique.

August Sander a composé son image suivant la règle des tiers : les visages des hommes se trouvent sur les points de forces. Le décor, un champ dans le flou (courte profondeur de champ), ajoute du contexte à l’image, et nous aide à comprendre qu’il s’agit de paysans (mais rien de plus, donc hors temps). Les paysans se tiennent bien droit ce qui apporte calme et stabilité à l’image, une manière de représenter non pas juste trois jeunes, mais l’ensemble de cette catégorie sociale, tous les jeunes paysans.

André Kertesz lui dynamise son image en utilisant une diagonale (depuis le haut gauche, vers le bas droit) formée par les manifestants et appuyée par le câble électrique et une image créée en penchant l’appareil photographique, fermée par des manifestants sur ses bords gauche et droit : le photographe surprend alors le spectateur avec un plan très original, qui supporte l’action et le mouvement de la foule mais qui crée aussi une forme de hors contexte, puisque la contre-plongée oblige, nous ne pouvons voir que le ciel et non pas l’environnement présent autour des manifestants.

Contexte

Ces deux images sont chacune de bons exemples de leur contexte artistique et de leur mouvement: Sander se retrouve dans la nouvelle objectivité avec une mise en avant de la maîtrise technique, l’utilisation de la chambre, un éclairage diffus, une certaine frontalité du point de vue et une minutie des détails. Kertesz lui, même s’il n’appartient pas réellement a un mouvement d’avant-garde particulier, s’oppose tout de même au pictorialisme et vise l’expérimentation sous toutes ses formes (principalement à la prise de vue), avec une démarche humaniste, des photographies prises sur le vif et une importance de la géométrie dans la composition (proche de la nouvelle vision).

Interprétation

La manière d’utiliser la photographie pour Sander se traduit par ces trois mots : « Voir, observer et penser ». En effet, August Sander a cherché tout au long de sa vie à transmettre une image objective de son époque, fidèle à la réalité, grâce à la photographie : il veut établir une sorte d’inventaire sociologique des types humains, classes sociales et métiers, en évitant les clichés idéalisant. Théâtralité et surprise caractérisent plus le travail de Kertesz qui va créer de nouvelles images en imaginant représenter les foules sur un mode totalement nouveau. Il s’agit moins pour lui de signifier le nombre (par des plongées, notamment) ou le message (par les banderoles) que de se focaliser sur des individus particuliers dont les sentiments sont visibles à l’image. Ainsi s’impose l’image d’une force en marche vers un avenir.

Pour conclure, les photographies de Kertesz et Sander nous parlent toutes les deux de la vie, et cherchent à nous informer : une image est construite avec des personnes posant pour l’objectif, l’autre est prise sur le vif, l’une veut établir un inventaire des types humains, l’autre veut témoigner d’une manifestation mais toutes les deux se focalisent sur l’individu présent dans l’image et ce qu’ils font ou vont faire (minutie des détails pour les jeunes paysans, absence de détail sur la manifestation qui appuie le regard sur les personnes visibles). Les deux images ont une partie hors contexte et hors du temps: l’époque est visualisable uniquement grâce aux vêtements et la légende, le décor est absent de la photographie de Kertesz, et quelconque pour celle de Sander.

Les différences principales entre les deux photos se retrouvent surtout au niveau du traitement de l’information représentée et de la prise de vue : formats vertical ou horizontal, plan général frontal ou rapproché et en contre plongé, stature des personnes représentées (droite, calme et posée pour les paysans ou mouvement et dynamisme du groupe de manifestant), composition avec des lignes droites et verticales contre des diagonales pour Kertesz, paysage champêtre présent à l’arrière-plan de l’image de Sander contre le seul ciel, objectivité des images de Sander et théâtralité de celles de Kertesz.

Conclusion

Vous connaissez maintenant ma méthode pour l’analyse d’image. Pour vous aider, je vous ai concocté une petite fiche pratique interactive, sous forme de tableau, accompagné d’une notice. Vous pouvez remplir chaque case avec les infos concernant vos images et ainsi préparer sereinement votre étude. Donnez-m’en des nouvelles !


Ressources

Le livre Introduction à l’analyse d’image, de Martine Joly (éditions Armand Colin) m’a été d’une grande aide, autant pendant mon BTS que lors de ma préparation au concours de Gobelins. L’autrice pose les bases d’un questionnement utile face à une image: comment l’interpréter, quelle peut être sa fonction, sa signification, etc… De nombreux exemples et études de cas sont détaillés dans l’ouvrage, en plus d’une réflexion qui peut s’adapter à nos propres images. Un « must have » quoi !

De nombreux sites internet proposent également des fiches de révisions concernant l’analyse d’image, comme par exemples Histoire des arts 32 et Collège de Saussure .


Posted by:Lauréline Reynaud

Photographe beauté diplômée de l'une des plus grande écoles de photographie Parisienne (Gobelins, l'école de l'image), je considère mon blog et mes réseaux comme un journal. J'y relate mes 5 années d'études et ma professionnalisation : retours d'expériences, conseils et astuces de prise de vue ou de retouche, curation de contenu et inspirations, discussions Business, etc.

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