trilogie sur les pionniers de la photographie couleurs américaine. Nous avons évoqué d’abord William Eggleston et Stephen Shore pour la thématique du Vernaculaire. Ensuite je vous parlais de la photo de rue, avec Joel Meyerowitz, Saul Leiter, et Harry Gruyaert en bonus. Alors, pour cet ultime article, nous partons sur les routes américaines pour voir du paysage !
Nos deux photographes d’aujourd’hui ont commencé la photographie couleurs dans les années 1970, et utilisent la chambre grand format. Et, histoire d’être original, font partie de ceux qui ont fait reconnaitre la couleur dans la photographie d’art: voici Richard Misrach et Joel Sternfield !
Joel Sternfield, même s’il a commencé en tant que street-photographer, est plus connu aujourd’hui pour ses photos des paysages, et notemment sa série « American Prospect ». Il documente, sur les traces de Walker Evans, les routes d’amérique du Nord et la manière dont l’Homme transforme son envrionnement.
Né en 1944, il obtient un diplôme d’art en 1965 au Dartmouth College, près de Montpellier… Dans le Vermont. Mais, si, vous savez, du côté de Woodstock.. Enfin, pas celui qu’on connait.. Celui vers Springfield… Bah celui à 3h de Montréal quoi… Il enseigne la photographie au collège Sarah Lawrence à New York (la ville que l’on connait tous cette fois!) depuis 1985. Ses expositions (solo ou en groupe) ont fait le tour des Etats-Unis comme de l’Europe.
Dans son travail, Sternfield explore la possibilité d’une identité américaine collective en documentant de lieux et des personnes ordinaires à travers tout le pays. Ses images sont souvent teintées d’une ironie subtile, que ce soit par la juxtaposition d’élements visuels, ou par l’ajout d’un texte explicatif à proximité de l’image. Le titre de ses images, est pratiquement toujours le même: le lieu accompagné de la date de prise de vue; l’auteur ne souhaitant pas donné plus de contexte, préférant laissé sa propre interprétation au public. Une interprétation qui s’approche pour moi de ma réaction au travail de Shore: « Ya un truc qui cloche, alors que rien ne se passe… Bordel ! ».
Une exception importante cependant: la série « On this Site ». Contrairement à ses images dans American Prospect où des éléments visuels s’entrechoquent parfois, là rien de se passe. Definitivement rien. C’est calme. Presque paisible. Pourtant c’est une série. C’est exposé. Et ca a un sens. Ce ne sont pas de simples photographies de vacances. Pour cette série d’images, Joel Sternfield accompagne ses visuels de textes explicatifs. Les lieux photographiés sont en fait très représentatifs de l’histoire américaine. Nous pouvons ainsi retrouver la rue où Rodney King s’est fait tabasser par des officiers de Police en 1991, ou le balcon d’hotel où Martin Luther King Jr. à été assassiné par exemple. Le sujet est en fait ce qui est absent. Sternfield nous rappelle par la même occasion que la photographie à toujours été capable de manipulation, même avant Photoshop, simplement par le choix du cadrage:
« Vous prenez 35° des 360 que vous voyez, et vous appelez ça une photo. Je pourrais prendre mon appareil et le pointer vers deux personnes, et non pas vers le sans-abris à droite du cadre, ou ne pas inclure le meurtre qui est en train d’avoir lieu à ma gauche… »
Pour voir la série en entier, et lire les textes accompagnant les images, je vous renvoi au site de la Luhring Augustine Gallery
Un travail documentaire et conceptuel, à des années lumières de ce qu’on peut trouver dans la presse actuelle en France. Mais bon… C’que mon avis heeein !
La couleur
Enfin, la couleur joue aussi un rôle important dans sa construction narrative. Elle n’est jamais arbitraire. Son utilisation permet au photographe de connecter et faire résonner les éléments entres eux. Joel Sternfield commence à travailler la couleur dans les années 70, après avoir étudié la théorie des couleurs de Johannes Itten et de Josef Albers (enseignants au Bauhaus). Et ca se sent.
Principalement connu pour sa série Desert Cantos, Richard Misrach travaille dans l’univers du paysage depuis plus de 40 ans. Il aborde certains des problèmes environnementaux en capturant les effets souvent négatifs de l’humain sur la nature. Plus d’une douzaine de monographies ont été publié sur son travail.
Après un diplôme de Psychologie à Berkeley, où il est confronté aux émeutes contre la guerre du Vietnam (entre autre), il commence à photographier les évènements qui l’entourent. Son premier projet photographique majeur, réalisé en 1974, représente les sans-abris de la Telegraph Avenue à Berkeley, Californie. Cette série fut exposé à l’International Center of Photography, et publié en livre sous le titre « Telegraph 3AM » . Déçu par l’impact très faible de son livre, Misrach se retire dans les déserts du Sud de la Californie où il fera de nombreuses expérimentations photographiques.
Desert Cantos
Dans cette série commencé en 1979 et toujours en cours, Richard Misrach explore les paysage désertiques de l’Ouest américain et les différentes manières dont l’Homme les utilise et les transforme. La série est composée de plusieurs chapitres (une trentaine), dont le nombre de photos varie.
« Le manque de vie nous rappelle à quel point l’existence humaine est fragile. […] Le désert a toujours fourni du matériel riche pour la littérature et les arts visuels, depuis la Bible jusqu’aux films de science-fiction, probablement parce qu’il incarne les extrêmes de la condition humaine. »
La série Border Cantos est un chapitre particulier de Desert Cantos. Ce projet présente une collaboration entre Richard Misrach et l’artiste Mexicain Guillermo Galindo. Misrach a commencé à documenter la frontière mexicano-américaine en 2004 en photographiant non seulement les lieux sur plus de 3000 km mais aussi les différents objets abandonnés par les migrants. De ces objets trouvés par le photographe, Galindo crée des instruments et génère des « sons ».
Richard Misrach propose avec cette série, des images capturées le long du Mississippi, dans une zone restreinte située entre la Nouvelle-Orléans et Bâton Rouge. Cette zone de 200 km est surnommée Cancer Alley à cause de la pollution engendré par les quelques 135 usines chimiques et raffineries qui bordent la rivière. En effet, « l’Allée du cancer » produit plus de déchets et d’émissions toxiques que toute autre région du globe. Le premier voyage de Misrach en Louisiane, se fait sur commande du High Museum of Art d’Atlanta en 1998. Le but était de photographier et de documenter le Sud des USA. Misrach se préparait à photographier certains sites du Ku Klux Klan, ou quelques champs de batailles de la guerre civile. Mais sur sa route vers le Sud, il apprend l’existence de l’Industrial Corridor en Lousiane.
« Quand je suis arrivée sur place, j’ai été térrassée par ce que j’ai vu. Je n’avais jamais traversé un paysage américain comme celui ci. Les gens vivaient juste à côté de ces gros groupe industriel. Je n’avais jamais pensé que les gens pouvais vivre à quelques mètres seulement des ces environnements toxiques. »
Richard Misrach photographia alors les deux rives du Mississipi, entre Baton Rouge et La Nouvelle Orléans. Pendant un temps. Puis il est tombé malade: les yeux qui brûlent, des difficultés à respirer, des nausées constantes…
Un deuxième voyage est réalisé plus tard, avec la participation de Kate Orff, architecte paysagiste. Et ce sont ces documents que l’ont retrouve aujourd’hui dans le livre Petrochemical America. Un ensemble de photographies, de textes, et de schémas de réhabilitation écologique pour la zone de « Cancer Alley ».
Certaines images de la série sont utilisées dans le générique de la première saison de True Detective. Oui… Encore un hasard heureux. Moi, Fan de True detective et ayant adoré le générique; Fan du travail de Richard Misrach; Ne tilte que maintenant que l’ensemble de l’ambiance visuelle de la série est inspirée du photographe… HAAAAA….
« We boarded out the sequence with full photographs very early on. The production was inspired by the work of photographer Richard Misrach. We started with that and also folded in other evocative and strangely beautiful shots of pollution, prostitution, and wildlife across the Gulf Coast. […] Then, we took the shots from Misrach and others, and built them out as 3D projected scenes. »_ Patrick Clair, directeur créatif pour le générique de True Detective, interview pour artofthetitle.com
Sources
Concernant Richard Misrach
- Le site de la Fraenkel Gallery qui représente Misrach et celui dédié à Border Cantos
- La page Wikipedia, pas très lourde… Ainsi que la page artiste Artnet, et Aperture
- Encore et toujours, un article de La boite verte et un du Huffington Post
- L’interview avec Patrick Clair concernant la création du générique de True Detective, un article de FlavourWire, et une conversation à propos de Petrochemical America très interressante.
A propos de Joel Sternfield
Il est difficile de trouver des sources concernant Joel Sternfield. Cependant, je peux vous renvoyer, comme pour Misrach, vers le site de la galerie qui représente le photographe, la Luhring Augustine. Vous y trouverez notamment dans la section Press, de nombreuses interviews.
- Plusieurs articles le concernent, sur les site du Guardian, et de Forbes.
- Galerie-photo.com présente le livre de Sternfield « Stranger Passing »
- Les blogs Faded and Blurred, et Eric Kim photography ont aussi fait des articles sur Sternfield.
Sur le racisme écologique
Pour en savoir un peu plus sur ce terme, je vous renvoi vers cet article sur l’Allée du Cancer, celui du Monde qui fait suite à la COP21 de 2015 et enfin un reportage de Slate, à propos du racisme environnemental aux Etats-Unis, qui a causé entre autre le scandale de l’eau contaminée dans le Michigan l’année passée.
Et voila, cette série d’articles sur le thème de la photographie couleur américaine se termine ici ! Alors bien sûr je n’ai pas parlé de tous les pionniers. Ni même évoqué toutes les œuvres des photographes que j’ai présenté. Mais je vous laisse découvrir le reste par vous même !
J’espère tout de même que vous aurez (re)découvert certains artistes grâce à moi, et que ceux là vous auront plus ! Pour la suite, n’hésitez pas à me faire part de vos envie, de vos idées, de vos remarques, etc… 😉 J’en prendrais grand soin !