Louise Ducamp est une jeune artiste parisienne, membre des Acanthes tout comme moi. Son hypersensibilité au monde et à la terre l’amène à des pratiques différentes : à ses photographies, elle ajoute régulièrement des dessins ou des audios, empruntant de-ci de-là aux méthodes du collage ou de la vidéo. Son attachement à l’humain (sa personnalité, ses sensations et son environnement) imprègne ses images où l’on retrouve matières et textures, qu’elle manipule avec soin pour appuyer son propos et sa narration.

Diplômée du bachelor photographie et vidéo à Gobelins, elle a présenté son mémoire aux anciennes douanes de Paris en septembre 2020. Ce dernier évoque la trace laissée par sa famille sur leur lieu d’habitation pendant dix ans : l’Hôtel-Dieu, à Paris. Mais son mémoire est beaucoup trop personnel pour que je ne vous en parle moi-même. Aussi, j’ai invité Louise Ducamp à prendre la parole afin de vous expliciter la réalisation de son projet et ce qu’il en reste.

Voici ses mots.

Introduction

Je suis quelqu’un d’extrêmement sensible aux sons, aux odeurs, aux textures, à la lumière. Les souvenirs me font très grande impression. Et d’une certaine façon je regarde ce qui m’entoure avec beaucoup de romantisme, et suis très curieuse à l’idée d’explorer les lieux, et à travers eux, les gens. Je suis très souvent émue par ce que je vois et j’ai toujours aimé l’idée de retranscrire ce que je pouvais ressentir, de capturer une atmosphère. J’apprécie la rencontre entre le texte et l’image, et semble tendre vers des productions dans lesquelles plusieurs médiums sont utilisés. Je ne crois pas avoir un processus particulier de création ni vraiment réussir à mettre le doigt sur une formule qui me permettrait de le faire avec une assurance sans faille. Toujours en est-il que ce que je produis me permet d’exprimer ce qui pourrait me sembler impossible à l’oral. 

Ce qu’il reste de nous

Pendant les dix premières années de ma vie j’ai vécu dans un lieu envoûtant. Je n’ai jamais vraiment réussi à m’en défaire, il hantait mon inconscient. Il était très particulier non pas seulement parce qu’il est le lieu de mon enfance, mais aussi de part sa singularité. Notre appartement en était un de fonction. Mon père était ingénieur hospitalier, nous vivions à sept (mes quatre frères et sœurs, nos parents et moi) au dernier étage de l’Hôtel-Dieu, le plus vieux hôpital de Paris, situé en son cœur, l’Île de la Cité. À cause de sa vétusté, l’hôpital, n’entrant plus dans les normes sanitaires, a connu pendant des années une situation d’entre deux. En attente de vente et avec un personnel médical surmené et à bout de nerfs, celui-ci est resté des années comme suspendu dans le temps.

Nous avions déménagé depuis déjà dix ans (autant de temps que nous y avions vécu) et notre appartement était toujours vide, inhabité. À l’image de l’hôpital, il avait été laissé pour compte. Mon esprit ne cessait d’y errer, comme accroché au souvenir d’un temps révolu, l’idée d’y retourner était pour moi une évidence. Ce lieu mystifié, dont nous étions les derniers habitants, était une capsule de notre passage. Mon retour fut le sujet de mon mémoire, Ce qu’il reste de nous

Sous forme de livre objet, j’ai fait se rencontrer des images du lieu à l’abandon, dans lequel notre présence avait laissé quelques fantômes et des images d’archives qui retracent notre vie de famille. J’ai voulu montrer ce que ce lieu représentait pour moi, le seul endroit qui fut et qui restera pour toujours la maison. En y revenant elle était comme entre parenthèse : les odeurs de tabac étaient imprégnées sur les murs, le sol grinçait au mêmes endroits, le carreau de tomette ne tenait toujours pas en place, la poussières encadrait encore nos tableaux autrefois accrochés, des objets de notre quotidien y avait été oubliés. Rien n’avait changé et pourtant elle avait été vidée de toute vie, comme s’il n’en restait que l’ossature : les meubles étaient ses muscles, les tableaux sa peau et ses habitants ses organes. Nous y avions laissé des traces et peut-être parce que je ne voulais pas la laisser disparaître, que le souvenir ne soit pas la seule chose qu’il en reste.

Le livre en lui-même était un objet que j’avais sauvegardé des années, faisant partie d’une série d’albums de famille dans laquelle je n’étais jamais apparue. Il était vide, après la mort de mon grand-père qui n’avait pas pu les continuer et il avait lui aussi souffert des effets du temps. L’objet permettait en fait de faire une synthèse, le passé et le présent se rencontraient. 

L’exposition aux douanes

Il me semblait important de créer une autre capsule éphémère pour redonner, à ce lieu qui aura marqué ma vie, son essence. La maison c’était aussi les meubles, les objets, les peintures de mon enfance. J’en ai donc ramené quelques-uns dans une petite pièce des douanes et je les ai mis en scène. Au cœur de cette pièce, le livre. C’était un peu une mise en abîme de mon travail, la pièce allait être vidée et je me demandais s’il resterait une partie de nous après notre départ. 

Dans l’écriture de ce projet, j’ai été très isolée, parce qu’il m’aura demandé énormément d’introspection. Je pense qu’en réalité il aura toujours goût d’inachevé. En vain, nous essayons de nous inscrire dans un lieu, nous essayons de nous souvenir, nous essayons de sauvegarder sous forme d’image notre passage et j’ai créé un objet qui était lui-même voué à disparaître. Il ne reste de cette épopée incroyable que des images abîmées par le temps, et des souvenirs qui le sont tout autant. Bien que notre présence disparaisse inévitablement, nous nous battons pour exister au travers des traces que nous laissons. 


Conclusion

Je sais que ce mémoire n’aura pas été de tout repos pour Louise. Si elle voulait avant tout parler de sa famille, elle est passé par plusieurs étapes, pistes de projets, avant de s’arrêter sur cette proposition, qui la raconte de manière très poétique, comme elle sait si bien le faire. La trace, l’empreinte, est quelque chose qui je pense va la suivre pendant un moment, mais peut-être est-ce le cas pour tous les photographes ?

Son livre-objet et sa place dans la petite pièce recrée pour l’occasion étaient d’une justesse particulièrement troublante. Le travail de Louise sur sa famille m’a toujours émue et touchée, que ce soit ses vidéos, ses audios, ou ses photos. Il ne s’agit jamais de tristesse, mais plutôt d’une douce nostalgie, de beaucoup d’amour et de bienveillance, et de souvenirs d’enfance que nous avons tous eu, que l’on soit membre d’une grande fratrie comme elle ou non.

J’attend avec impatience de pouvoir découvrir ses prochains projets, qui j’en suis sûre, me toucherons tout autant quel qu’en soit le sujet. Et je vous invite à la suivre très attentivement…

Gobelins aura diplômé 35 photographes passionné·es en 2020. Chacun d’entre nous a eu la chance d’exposer aux anciennes douanes de Paris en septembre dernier. Cependant, au vu du contexte sanitaire, seulement une très petite sélection de personnes aura eu l’occasion de venir nous rendre visite. Aussi je souhaitais vous partager ces réalisations, projet par projet, article par article. Celui-ci fait partie du premier cycle ayant pour thème La Famille. Tous les articles précédents sont disponibles ici.

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Posted by:Lauréline Reynaud

Photographe beauté diplômée de l'une des plus grande écoles de photographie Parisienne (Gobelins, l'école de l'image), je considère mon blog et mes réseaux comme un journal. J'y relate mes 5 années d'études et ma professionnalisation : retours d'expériences, conseils et astuces de prise de vue ou de retouche, curation de contenu et inspirations, discussions Business, etc.

1 pensée à propos de “ Ce qu’il reste de nous : l’empreinte familiale vue par Louise Ducamp ”

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