L’image à la une est une vue de l’exposition de Wolfgang Tillmans, A te tested a tiéd, Trafó à la House of Contemporary Arts de Budapest, Hongrie, 2021 

La notion de photographie plasticienne est extrêmement récente et ne trouve pas vraiment d’équivalent international (elle s’approche sous certains biais de la postmodern photography 1). Le terme est d’abord utilisé par la critique d’art Dominique Baqué en 19982, puis on le retrouve ensuite un peu partout sur le marché de l’art, dans les biographies d’artistes, les catalogues d’expositions.

Essayons d’en regrouper les différentes définitions afin de la comprendre dans sa plus grande globalité.

La photographie plasticienne est un genre

Il n’est pas facile de définir ce qu’est la photographie plasticienne en tant que genre puisque justement elle s’en émancipe totalement. Chaque artiste y apportera sa propre définition afin de se trouver, sur un marché de l’art très codifié qui ne saurait ranger son travail dans une case prédéfinie. Le photographe plasticien, plutôt que d’essayer de retranscrire le réel, le décrira de manière purement subjective, en n’hésitant pas à le mettre en scène, en faisant une représentation plus attentive aux sentiments et à la forme3 qu’au contenu purement documentaire. Elle s’approche en cela de la photographie conceptuelle4.

La photo plasticienne est une discipline en regroupant d’autre, à l’image de la photo publicitaire. Comme cette dernière, des pratiques distinctes s’y côtoient : nature morte, mode, culinaire ou architecture d’intérieur par exemple pour la publicité contre intimité, autobiographie et docu-fiction entre autres pour la photo plasticienne. Elle recoupe un ensemble de pratiques et œuvres diverses et hétérogènes.

Il n’est pas question d’une esthétique particulière (nous sommes loin des Moody, Fearless, Fine Art etc) mais plus d’un mouvement ou d’un courant photographique dans le sens de la Straight Photography, du Bauhaus, de la Nouvelle Objectivité ou du Pictorialisme.

La photographie plasticienne est un médium

L’idée de photographie « plasticienne » évoque aussi naturellement celle de la manipulation – lors du processus de prise de vue ou par la suite – des sujets, des matériaux, des formats, de la mise en espace des images, ou même de l’utilisation détournée d’images préexistantes ou de techniques traditionnelles. Développée en parallèle de l’art conceptuel (la photographie est alors le soutien, le compte rendu et la trace des évènements, performances et installations) elle se fait l’écho d’une pratique qui n’est plus réservé aux seuls photographes, mais qui s’ouvre aux autres artistes. 5

La photographie plasticienne s’ancre donc dans différentes approches du médium 6 :

  • La photo manipulée : intervention à tous les niveaux du travail photographique, manipulation d’images préexistantes ou détournements de techniques traditionnelles pour créer des effets plastiques (Georges Rousse, Sandy Skoglund, Raoul Hausmann)
  • La photo comme matériaux à la fabrication d’une œuvre : au même titre que la glaise ou l’encre, l’image photographique sera mixée avec d’autres matériaux pour construire quelque chose d’autre (Alain Fleisher, Pierre & Gilles)
  • La photo comme trace : témoignage d’une action (performance, land art) elle n’est qu’une étape dans la démarche de création (Chris Burden, Michel Journiac)
  • La photo comme médium de l’art contemporain : le choix de la photo est alors intimement lié au propos, à l’intention et à la démarche de l’auteur, utilisant l’ensemble de ses capacités et de ses qualités au service d’une représentation, d’une interrogation, d’un discours (Thomas Ruff, Andréas Gursky, Thomas Kellner). Ces artistes contemporains ont décidé d’utiliser spécifiquement la photographie pour s’exprimer7. C’est majoritairement dans ce cadre précis que la presse et les essais citent le terme plasticien.
Sandy Skoglund, photographe plasticienne : vue de l'exposition à la Ryan Lee Gallery en 2020
Sandy Skoglund, Ryan Lee Gallery, 2020

La photographie plasticienne est un argument marketing

La photographie plasticienne désigne un type de pratique artistique présentée dans le champ de l’art contemporain, qui utilise la technique photographique au service de créations et d’interrogations plastiques, esthétiques et conceptuelles, et tente de s’éloigner des codes de la photographie de genre.8

Dans son article La photographie plasticienne9, Jean-François Devillers fait une distinction entre photographe et plasticien :

Il convient de faire la différence entre les œuvres qui appartiennent en propre au champ de la photographie et les œuvres qui, elles, relèvent du domaine de l’art contemporain. La ligne de démarcation entre ces deux champs concerne précisément la question de la représentation : le propre des photographes est d’être exclusivement préoccupés par la représentation, à la différence des artistes photographes qui eux se servent des images comme d’un moyen d’exprimer des idées ou des préoccupations qui n’ont pas pour objet propre ou immédiat de représenter photographiquement la réalité.

Jean-François Devillers

Cette définition, malgré toutes les contradictions qu’elle présuppose (Nan Goldin, Valérie Jouve, Valérie Belin, Bernard Plossu sont tous considérés comme photographes plasticiens mais se préoccupent de la représentation d’une certaine réalité) simplifie la distinction et assoit une définition, dans laquelle chacun peut délibérément choisir d’y retrouver sa propre pratique ou non.

Thomas Ruff, photographe plasticien : vue de l'exposition Thomas Ruff: Photographs 1979 – 2017 à la Whitechapel Gallery en 2017-2018
Thomas Ruff: Photographs 1979 – 2017, Whitechapel Gallery

Aujourd’hui, l’utilisation du terme photographie plasticienne peut d’ailleurs s’accompagner d’une certaine notion d’élitisme (à minima dans sa perception), de la supériorité d’une pratique se démarquant du photojournalisme et de son instant décisif, et s’inspirant de toutes les réflexions et théories élaborées dans les années 1980. Elle en devient un argument marketing, plaçant le photographe et ses œuvres sur le marché de l’art contemporain, appuyant sa différence, lui apportant une touche de modernité et une idée de profondeur du propos, excusant parfois son absence de technique.

Conclusion

Au-delà de cette première impression un peu fouillis, le terme photographie plasticienne regroupe surtout des photographes dont les réalisations sont plutôt inclassables. Ces derniers utilisent un mélange de nature morte, de portraits, de textes, pour dépeindre une idée ou une sensation, documenter une situation politique ou sociale, accompagnant souvent leurs images d’une bande-son, de performances et/ou de vidéos.

C’est le moyen de s’éloigner d’une pratique trop centrée sur le photographe lui-même, plus en discussion à la fois avec le sujet et le spectateur. Nous ne sommes plus dans la prouesse technique mais dans l’intention, la vision et l’intime.

Ce n’est pas un sujet, ce n’est pas une discipline, ce n’est pas un style. C’est bien plus qu’un mouvement, qu’une méthodologie ou qu’un simple médium. En somme, la photo plasticienne est une philosophie personnelle de la pratique photographique.

Sophie Calle, photographe plasticienne : vue de l'exposition Absence à la Paula Cooper Gallery en 2013
Installation view, Sophie Calle, Absence, Paula Cooper Gallery, 2013

  1. Tate. (s. d.). Postmodernism – Art Term. Consulté le 4 août 2021, à l’adresse https://www.tate.org.uk/art/art-terms/p/postmodernism ; voir aussi Seiferle, R. (2018, 17 octobre). Modern Photography – Concepts & Styles. The Art Story. Consulté le 4 août 2021, à l’adresse https://www.theartstory.org/movement/modern-photography/history-and-concepts/
  2. Baqué, D. (1998). La photographie plasticienne. Regard.
  3. Michel Poivert, « Dominique BAQUÉ, La Photographie plasticienne, un art paradoxal, Paris, Éditions du regard, 1998, 328 p., 225 ill. NB et coul., ind., 225 F. », Études photographiques [En ligne], 6 | Mai 1999, mis en ligne le 18 novembre 2002, consulté le 22 juillet 2021. URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/196
  4. Conceptual photography. (2011, 1 mars). Dans Wikipedia. https://en.wikipedia.org/wiki/Conceptual_photography#:%7E:text=Conceptual%20photography%20is%20a%20type,a%20Drowned%20Man%20(1840).
  5. GALERIE DE L’ÉTRAVE. (2010, 3 juillet). Images fabriquées. Photographie plasticienne [Communiqué de presse]. https://www.paris-art.com/images-fabriquees-photographie-plasticienne/
  6. Bourdenet Vicaire, C. (2019, 17 mars). La photographie plasticienne. Site d’une enseignante en arts plastiques : Corinne Bourdenet Vicaire. https://www.profartspla.info/index.php/cours-2/64-glossaire/909-la-photographie-plasticienne-2
  7. Viviane Esders
  8. Photographie plasticienne. (2007, 18 janvier). Dans Wikipedia. https://fr.wikipedia.org/wiki/Photographie_plasticienne
  9. Devillers, J.-F. (2008, 20 octobre). La photographie plasticienne. Réflexions sur la photographie et les images. https://theoriedesimages.wordpress.com/2008/10/20/la-photographie-plasticienne/
Posted by:Lauréline Reynaud

Photographe beauté diplômée de l'une des plus grande écoles de photographie Parisienne (Gobelins, l'école de l'image), je considère mon blog et mes réseaux comme un journal. J'y relate mes 5 années d'études et ma professionnalisation : retours d'expériences, conseils et astuces de prise de vue ou de retouche, curation de contenu et inspirations, discussions Business, etc.

4 pensées à propos de “ C’est quoi la photographie plasticienne ? ”

  1. Coucou! Merci pour cette découverte! Moi qui ne connais absolument rien à la photographie, j’ai découvert avec plaisir ce qu’étais la photographie plasticienne!

  2. Une découverte de ce qu’est la la photographie plasticienne. J’ai beaucoup aimé la phrase de synthèse à la fin :  » la photo plasticienne est une philosophie personnelle de la pratique photographique. »😻

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