Aujourd’hui, Charlotte Moricand prend la parole et vous présente son mémoire Rêve, Liberté, Amour et Vie, un coffret de livres photographiques pour enfant. En éditions uniques, dédiés à ses nièces, ils sont un hommage à sa maman, leur grand-mère, emportée par un cancer lors de notre première année de bachelor.
Cet article est le troisième du cycle « Famille » des projets de mémoire des étudiants de la promotion Photo 2020 de Gobelins, l’école de l’image. Pour un projet si personnel, nous avons décidé de laisser Charlotte Moricand vous l’expliciter elle-même, en tant qu’invitée d’honneur, avec ses propres mots, ses tournures de phrases, et sans ajouts de ma part. J’espère que cela vous plaira.
Biographie : Charlotte Moricand
Les rencontres et le hasard jouent des rôles importants dans ma façon d’appréhender la vie. De la même manière, cela marque ma conception de la pratique photographique.
Après des études tournées vers l’art, qui ont exacerbé mon goût de l’exploration, c’est à Gobelins que je choisis de perfectionner ma pratique. Durant ces trois années, je me forge une identité visuelle plus marquée, j’expérimente, mais surtout je fais des rencontres qui marqueront mon évolution photographique.
En 2020, je co-fonde Les Acanthes avec cinq de mes camarades, collectif où je peux laisser libre cours à mes obsessions plastiques, j’y expérimente sous le nom de Charlotte Moricand.
À côté, je forme le duo de photographes de Nature Morte Camille & Charlotte, où réflexion artistique et travail publicitaire se lient autour d’une esthétique commune, à la fois ludique, pleine de couleurs et marquée par une attention particulière aux détails.
La peur de l’oubli comme projet de mémoire
Lorsque j’ai appris que ma mère souffrait d’un cancer, nous étions à la fin de l’année 2017, et j’entamais alors ma première année à l’école. Quelques semaines, deux mois tout au plus, voilà ce qu’on m’annonçait. Ma mère aura finalement tenu six longs mois, et s’il est difficile de perdre sa mère, c’est encore autre chose que de la voir mourir.
Les semaines et mois qui ont suivi sa mort, tout me rappelait à elle. Je ne pouvais faire autrement. C’est là que ce projet a commencé à germer, dans cet état de choc et de manque qui accompagne les débuts du deuil. Il me faut cependant être claire sur un point : si j’aborde en premier lieu les sujets de la mort et du deuil, ils n’en sont pas pour autant les thèmes de ce mémoire. Mais ils en sont, malgré moi, à l’origine, et donc inévitables.
Quand l’idée de faire de cette épreuve un projet photographique est née, j’ai assez vite décidé d’en faire mon mémoire de fin d’études. Au fond, tout avait commencé à mon entrée à l’école. Mais il n’était pas question de faire un projet sur la mort ou sur la maladie. Ce projet devait être sur ma mère, sur sa vie, sa joie, ses rêves, ses amours.
J’ai commencé à réunir tous les objets qui pourraient me permettre de ne pas l’oublier, surtout ne pas oublier. La peur de l’oubli était ce qui m’obsédait alors, l’évanescence des souvenirs et qu’elle finisse par disparaître définitivement.
Ma mère croyait aux forces de l’univers et à l’espièglerie de la vie. Elle a eu trois enfants, ses amours : d’abord mes deux frères, Bruno et Aurélien, et puis moi.
Mon projet a pris une tournure particulière quand j’ai appris que mes deux frères allaient devenir pères. À quelques mois près, elle allait être grand-mère, et même deux fois grand-mère. Ce projet de ne pas oublier ma mère, s’est alors transformé en objet de transmission. Puisque ma mère n’est plus là pour se raconter, c’est à nous de le faire, chacun à sa manière.
« Les objets-relais, formes de l’entre-deux, preuves du rêve et certitudes de la mémoire, miment le mouvement du souvenir et l’envers du présent. »
La maman de Charlotte
De ses mots, et des souvenirs qui me rappellent à elle, j’ai dégagé quatre grands thèmes : le Rêve, la Liberté, la Vie et l’Amour. Ils sont mon interprétation de sa mémoire.
Des natures mortes pour représenter son imaginaire
Ainsi j’ai imaginé des natures mortes allégoriques, telles un portrait d’elle au travers d’une représentation de son imaginaire. Quatre thèmes pour quatre livres destinés à mes nièces, alliant photographies et petits poèmes évocateurs, et ainsi les faire voyager dans son univers.
La forme de la nature morte a une très forte valeur symbolique. Elle est au cœur de ma pratique photographique et permet selon moi une liberté d’écriture et d’interprétations infinie. Les objets sont des marqueurs, des indices, que chacun perçoit selon son vécu, mais qui sont aussi et surtout chargés des instants qu’ils ont vu passer.
Chacun des quatre thèmes est ainsi composé en premier lieu d’une grande nature morte, sorte d’autel qui réunit l’ensemble des objets et symboles du dit thème. Au loin, sur le dernier plan de l’image, on retrouve la photographie d’un lieu, différent pour chaque thème, et qui amène une autre dimension de la mémoire et offrir un point d’évasion supplémentaire.
Fenêtres vers ces multivers du souvenir, ces quatre grandes natures mortes ne forment qu’un seul et même monde, celui de ma mère.
À ces premières images, viennent s’ajouter d’autres natures mortes, des détails, des plans serrés, qui se concentrent sur un objet à la fois. Car lorsque nous entrons dans un univers, il s’agit d’y faire un petit voyage avec escales.
De l’importance de l’écrit
Mais ce projet ne serait pas complet sans une autre dimension d’écriture. La photographie en soi est une sorte d’écriture, mais les mots en eux-mêmes, à la manière de formules magiques, me permettent de transmettre autrement ce qui est parfois trop difficile à exprimer oralement. J’ai toujours eu plus de facilité à m’exprimer par l’écrit. C’est pourquoi la présence de textes dans ce projet, en plus des images, est fondamentale pour moi.
Ainsi, chacune des images de ce projet est reliée à un texte, à une pensée, à une histoire, tous écrits par moi. Je les conçois comme des petits poèmes, à la fois écritures automatiques et souvenirs précis, rimant ou non, qui s’échappent furtivement de mes pensées.
Dans ma volonté de ramener encore un peu d’elle dans ce projet, j’ai travaillé sur la police d’écriture de ces textes. Ma mère était une gauchère contrariée, et son écriture très particulière, ressemblait à celle d’un enfant. Ainsi, à l’aide d’un outil qui permet de créer une police à partir de sa propre écriture manuscrite, j’ai reconstruit celle de ma mère. J’ai dû pour cela récupérer chaque lettre une à une : majuscules, minuscules, caractères spéciaux, etc. sur des cartes postales, carnets, tout ce que j’ai pu trouver.
Des couvertures de livre pour enfants
Ce projet de mémoire, rappelons-le, est un projet d’édition avant tout. Il s’agit de créer des objets-souvenirs dans lesquels mes nièces pourront se plonger et se replonger en grandissant. Il me fallait donc imaginer des couvertures à ces livres.
M’est alors venue l’idée des fleurs séchées. Si les fleurs en général symbolisent la vie, fragile et fugace, les fleurs séchées pour moi sont le symbole de la mémoire. Mon intérêt pour les fleurs séchées a commencé quand j’ai perdu mon grand-père. Il était un passionné de roses et en avait plein son jardin. Ce sont ces roses que j’ai commencé à cueillir et préserver, comme autant de souvenirs de lui.
Ici, le symbole est le même : protéger de leurs caractères éphémères les souvenirs de ma mère.
Scénographier un projet d’édition intime
Quand nous avons appris que la soutenance du mémoire se déroulerait aux Douanes, la question de la scénographie a réellement commencé à se poser. Comment remplir ce lieu immense ? Et pour ma part, comment garder cette intimité, cette douceur, propre à mon sujet, dans un lieu fait de vide et de béton froid ?
J’ai finalement trouvé un espace plus chaleureux, plus petit, sorte de petite cabane qui pourrait abriter un peu de ma mère.
Avant même d’imaginer la forme du livre pour ce projet, j’avais déjà en tête l’idée de quatre grands tirages comme quatre tableaux immersifs, des fenêtres, des portes picturales. Cela s’est trouvé particulièrement adapté à l’espace dont nous disposions. À côté de chacune de ces fenêtres photographiques, j’ai alors disposé sur une tablette le livre qui lui correspond comme une invitation à poursuivre le voyage.
Mais si ce projet est d’abord destiné à mes nièces, il va de pair avec notre capacité, à mes frères et moi, à donner vie aux histoires qui s’y trouvent. Pour une exposition ouverte à un plus large public, il me semblait pertinent d’ancrer plus encore le visage de ma mère et sa vie au travers de l’archive photographique. J’ai donc glissé, en plus des images et textes du livre, quelques photographies de ma mère au fil de sa vie.
Enfin il me semblait important que l’on retrouve les objets eux-mêmes, dans leur matière, chargés d’un peu de ma mère, marqueurs de sa présence.
La soutenance de bachelor
La soutenance de ce mémoire a été une étape importante dans ce projet sur ma mère. Elle marque l’aboutissement d’une volonté de transmettre à mes nièces un peu de leur grand-mère, sous la forme d’objets-souvenirs qui n’existent qu’en deux exemplaires. Car c’est bien ce dont il s’agit alors, un bout de mémoire familiale, intime et personnel, réservé à un cadre restreint.
Photos par Gobelins, l’école de l’image Photos par Gobelins, l’école de l’image
Mais aujourd’hui je souhaite faire évoluer ce projet, chose dont je ne me sentais pas capable il y a quelques mois encore, à un autre niveau, plus ouvert. Il s’agira cette fois de parler de ma mère à tout le monde, d’y ajouter une dimension archiviste, mais aussi plus abstraite. Je souhaite y reconstruire un peu de son monde au travers d’un rhizome de projets divers, dont Rêve, Liberté, Amour et Vie serait l’une des racines biographiques.
Conclusion
Allo ! Allo ! Ici Lauréline, de nouveau. Je souhaitais reprendre la parole avant de clore cet article et remercier Charlotte Moricand de nous présenter ce très beau projet. Réussir à faire de cette expérience extrêmement douloureuse, un coffret de livres si délicats et une exposition si belle et touchante, sans même réellement évoquer la mort, n’était pas évident. Les images sont sublimes, profondes, surréalistes, les petits poèmes savent nous toucher au plus profond de notre être sans en faire trop. Aucune tristesse dans ces photographies, ces collections d’objets symboliques, mais beaucoup de vie, d’amour et de tendresse, que de très jeunes enfants, sans forcément s’en rendre compte, sauront sentir tout prêt d’elles. Comme un câlin réconfortant d’une grand-mère qui vivra toujours à travers l’ensemble de la famille et dont la personnalité transparait par cet hommage.
Merci Charlotte de nous avoir permis de voir ces images et de tourner les pages de ces petits ouvrages si précieux.
Gobelins aura diplômé 35 photographes passionné·es en 2020. Chacun d’entre nous a eu la chance d’exposer aux anciennes douanes de Paris en septembre dernier. Cependant, au vu du contexte sanitaire, seulement une très petite sélection de personnes aura eu l’occasion de venir nous rendre visite. Aussi je souhaitais vous partager ces réalisations, projet par projet, article par article. Celui-ci est le troisième d’un premier cycle ayant pour thème La Famille. Le précédent présentait le travail de Lucie Hodiesne, Lilou.
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Je trouve que c’est vraiment un beau projet ! Et en effet, ses photographies ne représentent aucune tristesse et j’aime beaucoup les couleurs !
Merci beaucoup, ça me touche ! C’était très important pour moi qu’il ne soit pas question de tristesse, et les couleurs jouent un rôle important dans cette volonté de transmettre la joie, la vie et l’amour avant tout.
Très beau projet et une scénographie parfaitement pensée ♥️
Belle continuation à l’artiste
Un projet magnifique haut en couleurs ! Et quel magnifique hommage, quel devoir de mémoire ! Bravo Charlotte pour cette inspiration et Merci Lauréline pour cette charmante découverte !
C’est un très beau projet, et un très bel hommage !