En début d’année 2021, la ministre de la Culture a commandé une étude « sur les possibilités d’améliorer et de renforcer le financement de la photographie pour répondre aux mutations profondes que connaît ce secteur ». Cette mission, réalisée en partenariat avec le Département de la photographie a consisté en la rédaction d’un rapport, établi à partir d’entretiens avec des professionnels du secteur (55 personnes auditionnées). Au total, 31 mesures sont proposées afin de protéger et rassembler les photographes en renforçant les aides à tous les acteurs du secteur.
État des lieux de la photographie professionnelle
Le rapport débute d’abord par une analyse du secteur de la photographie professionnelle : acteurs, enjeux et problématiques, écosystème, valeurs, mutations, aides accordées, etc.
Précarité et visibilité
Le statut d’indépendant concerne 9 photographes sur 10 et le nombre d’autoentrepreneurs a été multiplié par 5 depuis 2009. Malgré ce développement, le métier reste particulièrement précaire. Seuls 59 % des photographes dégagent l’intégralité de leurs revenus de leur production. Le métier est également peu rémunérateur : en 2013, 43 % des photographes déclaraient avoir perçu moins de 15 000 € et 31 % entre 15 000 € et 30 000 € (le SMIC est à 19 237 €). Le nombre de cartes de presse attribuées à des photographes a continuellement baissé depuis 20 ans, passant de 1541 en 2000 à 840 en 2019. Les prestations à destination des professionnels sont majoritaires et constituent le principal vecteur de croissance du marché (+18 % contre +9 % pour les particuliers).
Edition, information et patrimoine
Le livre de photographie joue un rôle majeur dans le développement de la carrière d’un photographe. Pourtant ce secteur est très fragile et les soutiens à la fois fragmentés et limités. Les critères d’éligibilités aux aides pour les éditeurs comportent des éléments particulièrement discriminants pour un livre de photographie : 50 % de texte minimum par rapport aux illustrations, être tiré à au moins 500 exemplaires, caractère innovant du projet, etc. Ces limites induisent donc un très faible taux de livres de photographies soutenus (3 % du budget de la commission Arts pour le CNL pour une moyenne de 8 474 € d’aide par livre et 16 % du budget de soutien à l’édition pour le CNAP pour une moyenne de 5 973 € d’aide par livre).
« La photographie constitue un outil puissant de représentation du monde, accompagnant les changements de société. » Pourtant, aujourd’hui, il est récurrent que la désinformation prenne le pas sur le sens et le contenu que l’image devrait véhiculer. Apprendre à lire et décrypter les images, dès le plus jeune âge, est devenu un enjeu sociétal majeur. Pour la presse, ne pas être en mesure de savoir qui a pris une image, dans quel contexte, ni ce qu’elle représente est « potentiellement dangereux pour la qualité de l’information, garantie essentielle de la démocratie ».
La sauvegarde, la conservation et la valorisation du patrimoine photographique français sont des questions primordiales. C’est un défi que soulevait déjà le rapport de Sam Stourdzé en 2018, alors que toute une génération de photographes ayant utilisé des supports anciens (négatifs, diapositives) arrive en fin de carrière.
Visibilité et place des femmes
Les photographes français sont très peu représentés dans les institutions nationales et internationales. Un photographe d’avantage exposé sera ensuite sollicité par la presse, la publicité ou les entreprises. Il lui sera proposé plus de commandes, qui renforceront sa notoriété et faciliteront sa renommée internationale, devenant « des ambassadeurs de la culture française, de son image, de sa force ».
L’enquête du CLAP (Ericka Weidman, 2020) révèle que la photographie française est largement minoritaire dans les grands lieux d’expositions français et parisiens. 28 % de photographes français sont exposés au Jeu de Paume, 25 % au BAL (aucun artiste français en 2018 et 2019), 43 % à la MEP, 37 % aux Rencontres d’Arles et 39 % à Visa pour l’image. Alors même que les Rencontres d’Arles bénéficient de 74 % du montant total des aides accordées par le ministère de la Culture aux festivals. Ces aides représentent en moyenne 15 % du budget d’un festival photo.
Le manque de visibilité des femmes photographes françaises et leur précarité sont encore plus marquées. Le milieu est toujours à dominance masculine, malgré la forte présence des femmes dans les écoles : 58 % de femmes dans les écoles en 2021, mais seulement 34 % d’entres elles dans le monde professionnel1. 66 % des femmes photographes déclarent vivre de leur activité, contre 87 % de leurs collègues hommes. 40 % des femmes photographes ont un autre métier, contre 24 % des hommes2. Les revenus médians des photographes sont de 1 400 €/mois pour les hommes et de 1 000 €/mois pour les femmes3.
À qui profite la photographie ?
Le bilan est sans appel : si la photographie est omniprésente dans nos vies, ce ne sont pas les producteurs d’images qui bénéficient de la valeur générée, mais les fournisseurs d’accès à Internet, les fabricants de matériel, les microstocks et les moteurs de recherche.
L’essor du numérique et le manque de soutiens (fédérations, syndicats et acteurs modestes) ont provoqué une utilisation massive, anarchique et gracieuse des images, fragilisant la création, quel que soit le marché : presse, illustration, édition, social…
- Les banques d’images « libres de droits » contribuent à l’effondrement généralisé de la valeur de l’image sur l’ensemble de la chaine de production et de diffusion, les institutions publiques ne montrant pas l’exemple et s’approvisionnant de plus en plus par leur biais, au préjudice des photographes professionnels et de notre environnement visuel.
- Les sites de partage, les réseaux sociaux et le rachat de fond d’images des agences françaises par de gros groupes américains entre autres, entrainent un appauvrissement du patrimoine photographique français.
- Les plateformes « low-cost » telles de Meero, qui propose une rémunération très en deçà des tarifs habituels en violant le principe du droit d’auteur, profitent de l’abondance d’images produites par les amateurs pour casser les prix du secteur tout entier.
- Les sites de référencement et d’indexation, financés par la publicité, tels que Google Images, constituent des banques d’images mondiales en direct concurrence avec les agences, sans pour autant verser de droits d’auteurs ou respecter le droit moral (absence du nom de l’auteur à proximité de l’image). Ces manquements favorisent la réutilisation des images sans autorisation ni rémunération.
Pour finir, les tentatives d’aides majeures précédentes (en particulier entre 1974 et 1982) n’ont pas été fructueuses, car trop fractionnées et limitées dans le temps. Ces dernières années un certain nombre d’actions ont été initiées pour répondre aux problématiques du secteur. Si chacune est utile, aucune n’est suffisante.
Plan, mesures et axes d’intervention
Le rapport ayant pour but de trouver des solutions, plusieurs mesures sont proposées, autour de 5 axes.
Le respect du droit d’auteur et la défense du statut des photographes
- Empêcher les recours abusifs à la mention droits réservés (DR) prévue en cas d’identification impossible de l’auteur, par une nouvelle étude d’abord puis par la réactivation des comités de suivi du code Brun-Buisson ;
- Développer des outils de marquage et de traçabilité des images par un soutien aux investissements dans les technologies adéquates grâce au Concours i-Nov (avec Bpifrance dans le cadre du PIA 4) et à l’appel à projets qui sera lancé dans le courant de l’année 2022 par la Caisse des Dépôts ;
- Mettre en œuvre le partage de la rémunération des photojournalistes au titre du droit voisin (art. 15 de la directive DAMUN) ;
- Identifier les photojournalistes lors des manifestations sur la voie publique : attestation pour les journalistes sans carte de presse et leurs accompagnants depuis janvier 2022 ;
- Renforcer les engagements des éditeurs en privilégiant l’approvisionnement auprès des photojournalistes, agences photo et agences de presse, en associant systématiquement à la publication le crédit, en limitant le recours abusif aux DR, en faisant respecter les délais de paiement et en conservant les métadonnées ;
- Créer des passerelles entre les différents statuts, en simplifiant l’accès à leurs droits par les photographes, en partie grâce au portail artistes-auteurs ;
- Mise en œuvre de la Licence Collective Étendue (par adoption d’un décret), qui permet aux plateformes numériques de négocier avec un seul acteur — un organisme de gestion collective de poids représentant le secteur des arts visuels et capable de défendre les intérêts des auteurs — et non avec un grand nombre d’ayant droit, assurant une rémunération pour les artistes-auteurs ;
- Protection des métadonnées avec l’adoption d’un code de bonne conduite via la HADOPI et une très forte sensibilisation des sites de partages de contenus ;
- Systématiser et garantir la rémunération du droit d’exposition par une recommandation obligatoire élaborée par le ministère, rendue publique en décembre 2019 et rappelée aux DRAC en février 2021, en déployant des crédits supplémentaires aux FRAC (2021) et en renforçant les collaborations avec les OGC, la DGPA et les collectivités territoriales
Le soutien à la création française et aux femmes photographes
- Pérenniser le soutien à la photographie documentaire en accompagnant les photographes dans la production de leur projet par des financements (dispositif porté par le CNAP), et par la possibilité de s’associer à un éditeur ou à un lieu d’exposition ;
- Lancer une grande commande photographique publique d’envergure pour célébrer le bicentenaire de l’invention de la photo française ;
- Renforcer le dispositif de résidences photographiques Capsule en créant Capsule +. Initié en 2020 Caspule permet d’accueillir chaque année et pendant 3 ans des artistes en résidence de création au sein des 7 centres d’art labellisé en photographie et de 7 lieux intermédiaires identifiés par les DRAC. Créer Capsule +, c’est toucher 25 structures supplémentaires dédiées à la photographie, ce qui permettra de couvrir la quasi-totalité de la France et des territoires ultra-marins ;
- Inciter les établissements publics à s’approvisionner auprès des agences et photographes français grâce à une campagne de sensibilisation, portée par une nouvelle étude et une charte de bonnes pratiques ;
- Renforcer la présente de la scène française sur le territoire et à l’étranger en sensibilisant les grandes institutions (Jeu de Paume, Rencontres d’Arles, Le BAL, la MEP, etc) à la défense et la promotion des photographes français ;
- Créer une bourse pour favoriser l’égalité femmes — hommes, à destination des femmes photographes en milieu de carrière ;
- Consolider le projet Elles x Paris Photo avec la publication chaque année d’un livret, des chiffres mis à jour sur l’égalité, des contenus en ligne ;
- Pérenniser l’acquisition d’œuvres de femmes photographes par le CNAP sur la foire Paris Photo ;
- Soutenir des associations et collectifs engagés dans la lutte pour l’égalité femmes – hommes en accompagnant leur développement.
Le soutien à tous les acteurs et intermédiaires de la chaîne afin que les photographes puissent se regrouper et défendre leurs droits
- Créer une aide à la prise de risque à destination des agences photo et des collectifs, permettant de les soutenir dans leurs différentes actions de production et de diffusion ;
- Créer un fonds de soutien à l’investissement pour les agences photo et les collectifs et mettre en place des garanties de prêt ou d’avance ;
- Adapter les dispositifs d’aides à l’édition en élargissant les critères d’éligibilité.
- Pérenniser le Plan d’Urgence pour le livre de Photographie. Aide exceptionnelle de 121 000 €, le dispositif PULP a permis d’acquérir des ensembles de livres photographiques et de les distribuer à des lieux de diffusion et d’éducation artistique soutenus par le ministère (FRAC, centres d’art, écoles supérieures) afin d’enrichir leur fonds documentaires dans une logique d’écoresponsabilité. Chaque éditeur du réseau France PhotoBook a ainsi perçu environ 6 200 €, et chaque lieu 35 livres. Le rapport conseille d’élargir la liste des bénéficiaires aux médiathèques et aux lieux de diffusion et de ressources à l’étranger.
- Développer la visibilité des éditeurs de livres de photographie, en créant trois évènements annuels : espace dédié pour les éditeurs français à Paris Photo et au salon du Livre avec prise en charge des frais par le ministère, création d’un mois du livre photo, création d’un prix des libraires pour le livre photo.
- Renforcer les missions du réseau DIAGONAL, fondé en 2009, sur le développement de coproductions, la circulation des expositions sur le territoire et à l’international en consolidant son financement annuel.
- Aider les festivals en augmentant l’enveloppe et le nombre de festivals photographiques soutenus par l’État
La protection du patrimoine photographique
- Créer une structure qui puisse aiguiller, mettre en relation et accompagner les acteurs locaux qui souhaitent accueillir des fonds photographiques sur l’ensemble du territoire grâce à une charte de bonnes pratiques en matière de conservation, à un accompagnement scientifique et juridique, en recensant les fonds et la liste des lieux, etc.
- Faire évoluer le nom de la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine en Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie afin de renforcer son identification et lui allouer des moyens supplémentaires pour lui permettre de mener à bien sa mission de numérisation et de valorisation du patrimoine photographique français.
- Accompagner la constitution, l’indexation et la numérisation des fonds des photojournalistes, déjà assurée en partie par le Centre international du photojournalisme de Perpignan.
L’éducation à l’image
- Renforcer le dispositif Entre les images, porté par le réseau DIAGONAL en augmentant son enveloppe et en consolidant sa valorisation par des restitutions d’envergure, des podcasts, etc.
- Développer des outils d’éducation à l’image en ligne, en collaborant avec des structures (Rencontres d’Arles, Le BAL, GwinZegal) et en se rapprochant de l’Éducation Nationale (Réseau Canopé, DGESCO).
- Créer une classe à horaires aménagés Photographie, en collaboration avec la DG2TDC et le ministre de l’Éducation nationale, permettant aux élèves de suivre le cursus scolaire classique tout en ayant un temps hebdomadaire dégagé pour développer leur projet artistique sur le long terme.
Conclusion du rapport Franceschini
Ce rapport dresse un état des lieux des problématiques rencontrées par le secteur de la photographie professionnelle et offre un éclairage sur ses mutations. En proposant une feuille de route contenant un grand nombre de mesures, il a pour objectif de sortir la filière de la précarisation profonde dans laquelle elle se trouve aujourd’hui grâce à des plans de financements, de valorisation et de sensibilisation.
- Enquête SISE-Culture 2020-2021 / Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et ministère de la Culture + Enquêtes Emploi 2017-2019 / Insee ↩
- Observatoire de la mixité 2019 / Les Filles de la Photo. Rapport 2021 disponible sur leur site.↩
- La Photographie en France au prisme du genre, 2014-2019 / Ministère de la Culture.↩
Voir également le dispositif du ministère de la culture ellesfontlaculture, le rapport des états généraux de la photographie, le résultat de l’Observatoire de la mixité (Les filles de la photo), et les ressources de l’association La part des femmes.
Excellent résumé. Merci beaucoup !
Très intéressant. Merci.