Gobelins aura diplômé 35 photographes passionné·es en 2020, dont ma petite personne. Chacun d’entre nous a eu la chance d’exposer aux anciennes douanes de Paris en septembre dernier et de présenter son projet devant un jury de professionnel·les. Cependant, au vu du contexte sanitaire, seulement une très petite sélection de personnes aura eu l’occasion de venir nous rendre visite. Aussi plutôt que vous détailler ma dernière année de bachelor, entre examens et confinement, je préfère vous montrer ces réalisations. Lou-Anne Oléron ouvre le bal d’une collection d’articles présentant les travaux de mémoire de la promotion photo 2020 de Gobelins, l’école de l’image.
Lou-Anne Oléron
Née en 1999, en banlieue parisienne, Lou-Anne grandit avec une passion pour l’art et plus spécialement pour le médium photographique. Elle sort diplômée du bachelor photographie de Gobelins, l’école de l’image en 2020, après l’obtention d’un baccalauréat scientifique.
La jeune photographe souhaite tout particulièrement raconter des histoires. Qu’elles soient réelles ou fantasmagoriques, l’important étant que ces dernières la touchent ou l’interpellent. Elle aime jouer à la fois sur le fond et sur la forme de ses projets, tout en explorant différents domaines de la photographie, de la nature morte au portrait en passant par le paysage. Toutefois, si Lou-Anne explore des sujets très différents (le handicap avec Regard Gauche et My Name Is Fredo ; l’enfance avec Souvenir Tendre ; le vêtement avec Affaire Personnelle, Tenue Convenable et Se Mettre Au Vert ; la mémoire avec Une Carte Pour Marie-Thérèse et 15 %), l’humain — et sa fragilité — se retrouve toujours au cœur de ses projets.
Depuis sa sortie de Gobelins, Lou-Anne a choisi d’effectuer un service civique en Roumanie. Toutefois, elle souhaite poursuivre ses études dans le domaine artistique en entrant aux Beaux-Arts. Elle est co-fondatrice du collectif Les Acanthes et a déjà quelques expositions à son actif, en plus de celle aux Anciennes Douanes dont je vous parle ici : Un autre regard sur l’industrie (Paris, 2019), Wall and Beyond (Bangkok, 2019), School Kids (Paris, 2019), Confinement (Exposition Virtuelle, 2020).
Qu’espère Lou-Anne Oléron pour l’avenir ?
« Être épanouie dans mon travail. Je ne sais pas précisément ce que l’avenir me réserve, mais je veux pouvoir travailler dans le monde de l’image en espérant être toujours en adéquation avec moi-même. Continuer à faire des photos et traiter des sujets qui me touchent. Je sais que je n’en ai pas encore finis avec 15 % [son projet de mémoire], je ne sais juste pas encore vers quoi il va me mener.«
Projet de fin d’étude : 15 %
« 15 % ça peut être bien, 15 % ça peut être super triste »
Le papa de Lou-Anne, Yves Oléron
En mai 2003, la famille de Lou-Anne découvre que sa grande sœur a un cancer. Elle avait 6 ans, Lou-Anne 4. Si la maladie de sa sœur n’a jamais été un sujet tabou, la photographe n’avait toutefois que très peu d’informations à propos de ce qu’il s’était réellement passé. Seulement des bribes.
Avec ce projet de mémoire Lou-Anne a voulu mener l’enquête, essayer de recoller les morceaux, combler les trous, fouiller, remuer, comprendre plus globalement le déroulé des évènements. Il ne s’agissait guère de parler de la maladie en elle-même, mais de son souvenir, du début des évènements jusqu’à leurs résolutions.
Son exposition aux anciennes douanes mêlait une création audio à une installation photographique et vidéo. Pour elle, il était primordial que les spectateur·ices découvrent l’histoire de la même manière qu’elle, à l’oral. Qu’ils reçoivent eux aussi les informations par bribes de la part de ses parents.
« Le spectateur doit essayer de comprendre les évènements comme moi j’ai pu les recevoir. Il faut qu’il se questionne et s’interroge sur le sens des images.«
Contexte
Afin de construire son projet, Lou-Anne devait dans un premier temps reconstruire au maximum l’histoire familiale concernant cette période et avec les quelques documents que sa mère avait gardés établir une chronologie des évènements.
« Tout commence il y a 17 ans. Ma mère est alors enceinte de ma future petite sœur. Lors d’un rendez-vous médical chez notre médecin généraliste assuré par un remplaçant, celui-ci sent une grosseur au niveau de l’abdomen de ma grande sœur. Il demande une prise de sang, celle-ci ne montre rien de particulier. Le médecin insiste pour qu’elle passe une radio après laquelle on explique à mes parents qu’ils devraient rapidement consulter, faisant savoir qu’il y a une grosseur, sans admettre que c’est une tumeur. Mes parents se retrouvent donc au service oncologie de l’hôpital pour enfant Armand Trousseau où on leur annonce que ma sœur à un neuroblastome, un cancer et que si celui-ci est disséminé ses chances de survie sont de 15 %. «
En mai 2003, la sœur de Lou-Anne reçoit 6 chimiothérapies et se fait opérer avec succès en septembre de la même année. Mais en février 2004, une scintigraphie de contrôle révèle une seconde tumeur, opérée trois mois plus tard. Elle a aujourd’hui 23 ans et ne garde de ces évènements qu’une cicatrice au niveau du ventre et des contrôles à effectuer tous les 2 ans.
Démarche
15 % est construit en trois temps autour de l’hospitalisation :
- l’avant évoqué par les différents lieux par lesquels la famille a dû passer avant le diagnostic
- le pendant symbolisé par un corpus d’objets et de moments figés et réalisés dans la maison familiale, lieu d’hospitalisation principal, et mêlé à des images d’archives délibérément floutées afin d’insister sur le propos : la mémoire.
- l’après représenté par un film de famille, regroupant des vidéos tournées de 2003 à aujourd’hui, et très reconnaissables par ses moments de joie clichés, banals ou ordinaires, mais très émouvants. 17 années y sont condensées en 3 minutes et suivent la sœur et plus généralement la famille de Lou-Anne vieillir.
À ces trois temporalités se joignent trois matérialités : la photographie (prise de vue de l’artiste et archives), la vidéo et le témoignage audio.
Cette piste audio, sans début ni fin, et dans laquelle les membres de la famille de Lou-Anne racontent des anecdotes similaires, radotent et se répètent, en boucle, était peut être l’élément le plus important de ce projet, autant pour l’artiste que pour le public.
« La meilleure façon [d’en savoir plus] était d’interroger les membres de ma famille, les seuls témoins que j’avais à ma disposition. J’étais et je suis toujours très émue quand j’entends mes parents parler de cette histoire. Je voulais pouvoir la partager et la transmettre.«
Exposition
À cette boucle sonore qui flotte dans la salle d’exposition, et relate les souvenirs de la famille, Lou-Anne Oléron a ajouté à sa scénographie l’idée de représenter la situation dans laquelle ses parents se sont retrouvés, une unique voie possible : un couloir.
Les trois temporalités se retrouvent ainsi disséminées dans ce couloir. Les images des lieux jalonnant le parcours du diagnostic sont collées sur le mur de droite et mènent à l’installation principale, au centre : une forêt de tirages de différents formats suspendus et indépendants les uns des autres. Les images d’archives en 10×15 sont placées dans l’ordre chronologique. Les autres, plus ou moins grandes selon la récurrence du souvenir dans le discours familial, sont réparties dans le reste de l’espace, Lou-Anne n’ayant pas d’idée précise de leur situation temporelle.
Finalement, derrière cette forêt de souvenir se trouve un écran diffusant le film composé des vidéos de famille — sans son — et concluant l’exposition.
Conclusion
Cet ensemble m’aura personnellement beaucoup touchée, tant par sa justesse que par son retrait. Rien n’est surjoué. La maladie, qui rappelons le n’est pas le propos de ce projet, est suggérée de manière subtile tout en étant représentée à de multiples reprises et sur différents supports. Lou-Anne Oléron réussit parfaitement à nous plonger avec elle, dans les bribes de sa mémoire familiale, et à revivre avec elle le chemin vers la guérison de sa sœur, explicité de manière très émouvante dans le film de clôture. En visitant cette exposition, nous savons pertinemment que ce projet n’aura pas été simple à mener à bout, mais jamais l’artiste ne tombe dans le pathos, ce qui n’est que trop rare pour ce type de sujet. Bravo.
Vous pouvez retrouver l’ensemble du travail de Lou-Anne Oléron sur son site https://louanneoleron.com/ ou son compte Instagram @louanneoleron. Lou-Anne est également membre du collectif Les Acanthes.
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Je te remercie, je suis très émue et très touchée par ton écrit.
Lou-Anne avait besoin d en parler même si ce n était pas un sujet ‘ tabou’.
Elle doit être très heureuse de t avoir comme amie.
Merci, merci
Merci énormément pour ce doux message aussi très touchant ! ❤ Je suis moi même très heureuse de compter Lou-Anne dans mes amies les plus proches ! Concernant ce projet, elle a vraiment su faire transparaitre ce besoin avec une grande délicatesse et pour nous spectateurs c’était plus que magnifique !
C’est une histoire très touchante pour cette photographe… Mais j’ai beaucoup aimé lire ton article et découvrir une nouvelle artiste !
Merci beaucoup pour ce retour ! ❤ D’autres articles similaires vont voir le jour dans les prochaines semaines ! Je t’invite, en attendant la mise en place d’une Newsletter, à t’abonner au compte Instagram du blog afin d’être tenue informée des nouveaux articles : https://www.instagram.com/yeux.coccinelle_blog/ ou à ajouter mon flux RSS à ton outil préféré : https://yeux-coccinelle.fr/blog/feed/